Un papillon monarque butine une fleur

(Crédit: Tiago Fernandes)

Il y a trois ans, on rapportait que la population de papillons monarques dans l’est de l’Amérique du Nord avait dégringolé à 35 millions d’individus, une chute de plus de 95 pour cent par rapport aux années 1990. On constatait que plus d’un milliard de plants d’asclépiade — la plante est essentielle à la survie de l’espèce — avaient disparu le long du parcours migratoire du papillon, depuis les sites d’hivernage au Mexique jusqu’à son habitat estival au Canada.

Il fallait donc, afin d’avoir quelques espoirs de sauver l’espèce, replanter de l’asclépiade rapidement. Sauf que dans de nombreuses provinces et états, l’asclépiade est classée dans les plantes « nuisibles », l’on se doute bien que peu de centres de jardinage et pépinières s’amusent à offrir des « mauvaises » herbes.

Les choses ont bien changé en trois ans.

La Fondation David Suzuki a démarré sa campagne #GotMilkweed (campagne faite exclusivement en anglais) en avril 2013 pour encourager les résidents de Toronto à planter de l’asclépiade dans leurs jardins et leurs balcons. Des bénévoles de l’équipe Homegrown Park Rangers ont également planté de l’asclépiade dans des parcs urbains et les cours d’école. Entretemps, le gouvernement de l’Ontario a retiré l’asclépiade de la liste des « mauvaises » herbes, les médias ont largement couvert le sujet et grandement aidé à sensibiliser la population à la situation des monarques.

À l’hiver 2015, la campagne #GotMilkweed avait donné de la graine! Plus de 10 000 plants d’asclépiades avaient été plantés dans la région de Toronto, et 11 000 personnes à travers le Canada avaient signé le Manifeste Monarque, un engagement citoyen à venir en aide à l’espèce. La semaine dernière marquait le lancement de l’édition 2016 de la campagne qui a maintenant un penchant francophone l’#Effet papillon, qui offre des plants d’asclépiades à Toronto ET à Montréal ainsi que des sachets de semences ailleurs au pays.

Comment se porte le monarque, alors? Le mois dernier, les autorités mexicaines estimaient que la population qui avait survécu au formidable périple de 5 000 kilomètres du Canada et du Midewst des États-Unis l’automne dernier était trois fois et demie plus nombreuse que l’année précédente. Les médias à travers le continent ont raconté abondamment que le monarque était de retour. Et puis le vent a tourné.

La pire tempête hivernale en plus de 30 ans a frappé les forêts montagneuses où les populations de l’est du continent vont hiverner, tuant pas moins de 11 millions de papillons sur son passage. Les scientifiques ont craint que l’impact ne soit encore plus dévastateur, à l’instar d’une tempête qui avait tué plus de 220 millions de monarques en 2002.

Selon une récente étude réalisée par la Scripps Institution of Oceanography de l’université de la Californie à San Diego et une étude de l’agence U.S. Geological Survey, publiées dans Scientific Reports, les monarques de l’est du continent font face à un risque bien réel d’extinction, et la quasi-extinction — lorsque l’espèce est en nombre insuffisant pour lui permettre de se rétablir — est attendue au cours des 20 prochaines années.

Le mauvais temps représente une menace bien réelle pour les monarques — tempête hivernale au Mexique ou sécheresse dans les territoires de reproduction. La quasi-éradication de l’asclépiade dans certaines zones de son parcours migratoire est néanmoins plus préoccupante encore. Si l’on a trouvé de tout temps des plants d’asclépiades dans divers habitats — le long des routes, dans des fossés, des champs et des prairies — l’étalement urbain ainsi que l’usage intensif de l’herbicide glyphosate — le fameux Roundup — ont également annihilé des dizaines de millions de plants d’asclépiades.

On ne peut bien sûr savoir ce que l’avenir réserve au papillon monarque, mais les mesures entreprises à ce jour ont produit des résultats encourageants.

Des organismes du gouvernement fédéral des États-Unis ont versé des millions de dollars en financement, et des dizaines d’organismes gouvernementaux et de groupes de conservation travaillent en collaboration à des projets comme le Monarch Joint Venture. Le fonds Environmental Defense des États-Unis travaille actuellement à la mise en place d’un projet novateur appelé Monarch Butterfly Habitat Exchange, dans le cadre duquel les propriétaires de terres sont payés pour laisser une zone de leur terre à la disposition des papillons.

Au Canada, bien que le gouvernement fédéral ne soit pas très actif, une poignée de chercheurs et de municipalités — et des milliers de citoyens — mènent la charge de la défense du monarque.

Depuis l’automne dernier, la Fondation David Suzuki travaille en collaboration avec Tyler Flockhart, biologiste spécialisé en conservation à l’université de Guelph, à l’évaluation de la meilleure méthode de gestion de corridors le long d’infrastructures linéaires telles que les voies ferrées, les lignes de transmission et les autoroutes, pour en faire des parcours pour les papillons. Nous espérons que cette démarche permettra de mettre au point des pratiques exemplaires et de démontrer l’intérêt économique d’encourager la culture de l’asclépiade et la protection des monarques le long de ces corridors traversant l’Amérique du Nord. Des chercheurs de l’université de la Floride ont établi récemment que le fait de réduire le fauchage dans ces corridors pourrait être bénéfique aux fleurs sauvages et aux papillons, tout en permettant de réduire les coûts et les ressources requises à leur « entretien ».

Plusieurs villes ont également décidé de créer des espaces d’accueil pour les abeilles et les papillons. La ville de Markham, en Ontario, est déterminée à devenir la ville la plus accueillante pour les monarques de tout le continent. Ainsi cet hiver la municipalité s’est engagée dans la création de la première pépinière municipale d’asclépiade dans le monde, en partenariat avec la Fondation David Suzuki. Markham a bien l’intention de devenir la première ville au Canada à signer une déclaration municipale en faveur de la protection du monarque, et l’on commence à voir dans les parcs municipaux de la signalisation de zones papillons.

L’asclépiade se répand et les populations de monarques ont remonté depuis les creux historiques enregistrés, mais elles demeurent néanmoins de 80 pour cent inférieures à celles d’il y a 20 ans. Cet été, les arrières-petits-papillons des monarques accueillis l’an dernier reviendront au Canada. Faisons tous notre part pour les aider à revenir en grand nombre, un plant d’asclépiades à la fois.

En savoir plus sur la campagne Effet papillon!

Écrit avec l’aide du spécialiste des communications et apiculteur urbain de la Fondation David Suzuki, Jode Roberts.