le monarque durant sa migration

(crédit : Johanna Madjedi via Flickr)

Catherine McKenna, ministre fédérale de l’Environnement et du Changement climatique, a eu tout un choc dernièrement. Un bon choc. Rien à voir avec la désolante politique spectacle chez nos voisins, non. Mme McKenna était au Mexique, en visite dans les aires d’hivernage des papillons monarques. Imaginez son émotion en voyant des millions de papillons agglutinés dans les sapins oyamel, en pleine montagne, remarquablement discrets malgré leurs couleurs si vives. Notre ministre a ensuite écrit un article touchant, appelant les citoyens du Canada à agir avant que le papillon monarque ne suive les traces de grands disparus comme la tourte voyageuse et le bison.

Les monarques parcourent des milliers de kilomètres depuis leurs aires de reproduction au Canada — celles-ci s’étendaient autrefois du sud de la Saskatchewan jusqu’aux Maritimes. Moi qui ai grandi dans le sud-ouest de l’Ontario, je me souviens que je voyais souvent des monarques, et c’était un spectacle fabuleux de les voir survoler pointe Pelée à la fin de l’été.

Mais cela, c’est du passé, car depuis les années 1990 les populations de monarques de l’est du pays ont chuté d’environ 90 pour cent. On estime que plus d’un milliard de monarques faisaient autrefois le trajet jusqu’au Mexique. Or à l’hiver 2013, ce chiffre avait dégringolé à 35 millions de papillons. On a observé entretemps quelques améliorations, qui ont vite été enrayées. En mars 2016 une énorme tempête a balayé plus de six millions de papillons, et les conditions météorologiques défavorables qui ont sévi pendant les périodes de reproduction ont entraîné la perte de 27 pour cent d’individus au cours de la dernière année.

Une forte proportion de cette dégringolade a été attribuée à l’éradication de l’asclépiade par le glyphosate, un puissant herbicide (le fameux Roundup) largement utilisé dans le Midwest des États-Unis et le sud du Canada. L’asclépiade abrite les cocons du monarque, dont la chenille se nourrit des feuilles exclusivement. Des conditions météorologiques extrêmes — grandes sécheresses durant les périodes de reproduction et de fortes tempêtes hivernales au Mexique qui ont abattu des arbres et provoqué des glissements de terrains dans les forêts où vont hiverner les monarques — ont fait le reste.

En 2016, les scientifiques estimaient que la population de monarque est à risque — celui-ci étant chiffré à 57 pour cent — de « quasi-disparition » d’ici les 20 prochaines années. Autrement dit, la population pourrait chuter à des niveaux si faibles que son rétablissement s’avérerait impossible. D’autres estiment que la migration de retour au Canada pourrait être interrompue. En novembre, les scientifiques qui assurent le suivi des espèces en péril au Canada ont affirmé que le gouvernement devrait inscrire le papillon monarque sur la liste des espèces en voie de disparition.

Alors, où en est-on? L’évaluation qu’en fait la ministre est éloquente. Dans son article, Mme McKenna mentionne un seul projet scientifique de citoyens, qu’elle présente comme le programme ayant eu le plus d’impact positif ici depuis que les gouvernements des trois états nord-américains ont entrepris en 2014 d’étudier sérieusement la question et d’envisager des moyens d’intervenir pour aider le monarque. Pour ma part, je pourrais ajouter des dizaines de formidables programmes citoyens- pensons au projet L’effet papillon de la Fondation et sa campagne de culture de l’asclépiade, qui ont encouragé des citoyens à semer des milliers de plants d’asclépiade et autres fleurs sauvages indispensables aux pollinisateurs. Je pense à la ville de Markham, qui a pris les devants et s’est engagée à protéger le monarque en semant de l’asclépiade dans les terrains publics. Je pense aussi à de nouveaux programmes comme le Butterflyway Project, qui encouragera cette année des quartiers entiers de cinq municipalités à constituer des corridors de végétation pour attirer les papillons et les abeilles.

Mais il faut davantage que des projets citoyens et municipaux. Selon Chip Taylor, grand défenseur du monarque, il faudrait semer plus d’un milliard de plants d’asclépiade dans les aires de distribution du papillon monarque pour qu’il ait une chance de se rétablir. Une telle opération exigerait une collaboration sans précédent de la part des organismes, groupes et scientifiques agissant le long des 5 000 kilomètres du parcours migratoire du monarque, particulièrement dans la partie nord, d’où part 44 pour cent de la population totale, selon les experts de l’université Guelph.

Aux États-Unis, de nouveaux programmes ont été mis sur pied ces dernières années. Des organismes fédéraux et étatiques ont collaboré à l’élaboration d’un ambitieux programme sur 10 ans visant à favoriser l’augmentation des populations de monarques; plus de 10 millions de dollars ont été versés pour soutenir la recherche et les efforts de conservation. L’ex-président Obama a accordé son appui à la mise sur pied d’un programme visant la création d’un million de jardins pour accueillir les abeilles et les papillons à travers le continent, y compris des jardins pour papillons à la Maison-Blanche.

Au Mexique, des organismes gouvernementaux, des organismes internationaux et des groupes locaux tels que Alternare travaillent sans relâche à la protection des forêts d’hivernage des papillons monarques.

Il ne manque plus qu’un plan d’action du gouvernement du Canada. Heureusement, la ministre McKenna a le pouvoir d’agir pour aider une espèce en péril. C’est à elle que revient la décision d’engager légalement le Canada à protéger le monarque, comme le recommandaient les scientifiques du gouvernement fédéral en novembre dernier. Et c’est à son ministère que revient la décision d’allouer des fonds à des programmes de recherche et de protection des monarques et des pollinisateurs. Voilà pourquoi l’amour que s’est découvert notre ministre de l’Environnement pour le papillon monarque me redonne de l’espoir.

S’il est vrai que le Canada souhaite sauver le monarque, le gouvernement fédéral doit agir dès maintenant.