Des manifestants à Standing Rock

Des manifestants à Standing Rock (Crédit : Joe Brusky via Flickr)

Dans les années 1990, la Fondation David Suzuki s’est engagée avec des Premières Nations de la côte Ouest dans un programme de développement de projets d’économie locale. Entre 1998 et 2003, Tara Cullis, ma femme et cofondatrice de la Fondation, a établi des relations avec onze communautés côtières de la pointe de l’île de Vancouver jusqu’à l’archipel Haida Gwaii et à l’Alaska. Elle leur a rendu visite à de nombreuses reprises.

Elle a constaté un besoin criant de création d’emplois et de développement économique dans chacune de ces communautés. Puis s’est fait sentir la pression des projets d’oléoducs et des consultations avec les Premières Nations ordonnées par les tribunaux. Les gouvernements provincial et fédéral ont commencé à offrir d’énormes incitatifs financiers pour faciliter l’approbation des oléoducs. Toutefois, l’opposition est restée solide, car il y a dans la vie des choses plus importantes que l’argent.

En 2012, les nations de la côte de la Colombie-Britannique se sont inquiétées d’un trafic accru de pétroliers dans leurs eaux si l’oléoduc Northern Gateway devait se construire. Lorsque les représentants de l’Office national de l’énergie sont venus rencontrer les membres de la nation Heiltsuk de Bella Bella, ces derniers les ont accueillis par une manifestation pacifique ponctuée de chants et de tambours. Plutôt que d’écouter le point de vue des gens les plus concernés, les membres de l’Office ont pris peur et ont annulé la rencontre.

Les cadres de l’industrie des énergies fossiles, les membres des chambres de commerce et les politiciens font tous la promotion des prétendus avantages économiques des oléoducs. J’entends souvent dire que tel PDG est quelqu’un de bien, qu’il va à l’église, qu’il emmène sa famille camper et qu’il adore la nature. C’est le cas de nombre d’entre eux. Par contre, le système économique dans lequel ils évoluent n’accorde aucune valeur à la notion de «sacré».

Rien n’est plus sacré que ce qui nous assure la vie et la santé: un air et une eau de qualité, un sol sain et la photosynthèse. Toutefois, la détérioration des systèmes naturels dont dépendent ces éléments essentiels est considérée comme non pertinente et étrangère à toute considération économique. Les cadres d’entreprises, même sensibles et réfléchis, ne peuvent pas laisser l’amour pour leurs enfants et la nature affecter leurs décisions : pour eux, les conséquences comme la pollution et la détérioration de l’habitat sont le prix à payer pour faire des affaires.

Le premier ministre et la ministre de l’Environnement du Canada ont des enfants. Ils doivent comprendre ce que disent les scientifiques à propos des changements climatiques et prendre conscience des catastrophes climatiques que risquent de subir leurs enfants. Les peuples autochtones nous rappellent l’importance de valoriser l’enseignement des anciens et de veiller à ce que nous léguerons à nos enfants et aux générations futures. Les politiciens devraient être à l’écoute de ces paroles, mais la réalité politique leur impose d’autres priorités.

En 2013, des militants micmacs ont dressé un camp près d’Elsipogtog, au Nouveau-Brunswick, pour dénoncer les dangers pour l’eau de la fracturation (la suite leur a donné raison). En réaction, les autorités ont fait un usage démesuré de la force.

Pendant des années, des fermiers et des Autochtones se sont opposés au barrage Site C sur la Peace River en expliquant qu’il était inutile pour les besoins énergétiques de la Colombie-Britannique, besoins auxquels on pouvait mieux répondre par la conservation, la géothermie et d’autres énergies renouvelables. Ils faisaient valoir que le barrage profanerait des lieux sacrés des Premières Nations et inonderait des terres agricoles fertiles. Bien que le gouvernement de la Colombie-Britannique ait refusé ce barrage il y a des décennies, ces promoteurs ont persévéré jusqu’à ce que le gouvernement ressuscite le projet sans tenir compte de ce que beaucoup considèrent comme un lieu sacré.

De nombreuses Premières Nations s’opposent aux piscicultures de saumon à enclos ouvert, une menace au saumon sauvage de la Peace River qui les nourrit et modèle leur culture depuis des millénaires. Plutôt que d’exiger une amélioration des techniques d’aquaculture, les politiciens ont choisi d’ignorer les demandes des Premières Nations et de renoncer à leur devoir de protéger la faune marine pour mieux se plier aux visées des entreprises multinationales.

Le problème fondamental est le suivant : comme les gouvernements représentent la population, les ministres des forêts, des pêches ou de l’environnement n’agissent pas au nom des forêts, des poissons, des océans et de l’environnement. Ils font passer en premier la consommation que font les humains de ces ressources, aveugles à toute vision d’ensemble.

Les mouvements Occupons et Idle No More parlaient de valeurs et de vision du monde. Aujourd’hui, des Sioux déterminés ont galvanisé des dizaines de milliers de supporteurs dans le monde entier dans leur lutte pour protéger l’eau contre le projet d’oléoduc du Dakota, aux États-Unis. Comble d’ironie, après avoir longtemps subi des politiques génocides, les premiers habitants de l’Amérique du Nord mènent aujourd’hui un combat en notre nom à tous. Ils s’opposent aux visées politiques et économiques qui ne placent pas le sacré en tête de nos valeurs fondamentales, afin que nos réalisations et nos institutions (économie, marché et entreprises) respectent les écosystèmes dont nous dépendons.

Nous devons consacrer la nature comme source de vie et de bonheur. Les récents mouvements de protestation revendiquent la protection des besoins les plus élémentaires de tous les peuples. De nombreux peuples autochtones sont montés au front, pour nous tous. Je les assure de mon soutien et de ma gratitude.

Traduction : Michel Lopez et Monique Joly