Fioles dans des éprouvettes

(Crédit : University of Michigan School of Natural Resources & Environment via Flickr)

Depuis mes débuts comme généticien dans les années 1960, le domaine a énormément évolué. En 1962, James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins ont reçu le Prix Nobel de médecine pour leur découverte de la structure en forme de double hélice de l’ADN. Les chercheurs ont alors « cassé » le code génétique, ouvrant ainsi la voie à des percées dans les secteurs de la santé et de la médecine. C’était une époque vraiment stimulante dans les laboratoires.

En 2003, quelque 40 ans plus tard, un groupe international de scientifiques a réussi à séquencer l’ensemble du code génétique humain. Les chercheurs peuvent maintenant identifier en quelques jours un gène soupçonné d’être la cause d’une maladie, un processus qui prenait des années avant le programme Génome humain. En 2013, on pouvait effectuer plus de 2 000 analyses génétiques sur des problèmes humains. Il y a quarante ans, je ne pouvais même pas imaginer que les scientifiques puissent un jour disposer des connaissances et des techniques manipulatoires que l’on considère normales aujourd’hui.

En quelques décennies, la génétique a permis de faire un inventaire systématique de la biodiversité mondiale. Au Canada, le Centre for Biodiversity Genomics de l’University of Guelph possède le génome de plus de 265 000 espèces nommées, identifiées par des codes-barres dans une base de données. L’analyse comparative d’un échantillon dans cette base de données publique ne coûte qu’environ 10 $. La baisse des coûts et les communications numériques offrent au citoyen scientifique l’accès à une mine d’information.

À San Diego, des jeunes citoyens scientifiques ont récemment participé à la compilation d’information sur la biodiversité de la région par le biais des bibliothèques locales. Les jeunes pouvaient obtenir auprès de Catalog of Life @ the Library des trousses d’analyse génétique, composées de fioles, de pinces et d’une pochette retour. Ils téléchargeaient ensuite des photos des espèces et des lieux de leurs découvertes à l’aide de LifeScanner ou d’un site Internet. Ce programme visait à recueillir 4 000 échantillons de la faune entomologique locale. Après avoir ramené leurs trousses à la bibliothèque, les jeunes scientifiques en herbe pouvaient aller en ligne comparer le code-barres générique de leur récolte.

Selon la bibliothèque, «on estime qu’à peine 20 pour cent des espèces sur Terre ont été identifiées par leur code-barres génétique». L’initiative de San Diego fait partie du programme Barcode of Life, qui s’est doté d’un objectif ambitieux: identifier toutes les formes de vie terrestre, afin d’aider les chercheurs à «comprendre la diversité des espèces et suivre la santé de l’environnement et les conséquences des changements climatiques». Le Centre for Biodiversity Genomics canadien effectue le séquençage génétique du programme.

Grâce au service LifeScanner, les citoyens canadiens peuvent aussi aider à déceler les fraudes dans la vente de poissons et fruits de mer. Des analyses génétiques permettent en effet aux consommateurs d’identifier l’espèce et parfois l’origine du poisson qu’ils achètent, un outil important pour quiconque se préoccupe de développement durable, de santé et de nutrition.

L’identification et le traçabilité des poissons et fruits de mer constituent des enjeux de longue date, en particulier parce qu’environ 40 pour cent des produits sauvages se retrouvent sur les marchés internationaux et que l’étiquetage est souvent déficient. Lorsque le poisson est paré, nettoyé et empaqueté, il n’est pas toujours facile de l’identifier. Par exemple, au Canada, l’appellation « sébaste » englobe plus d’une centaine d’espèces.

Souvent, les étiquettes ne précisent ni le lieu de la pêche ni son caractère durable. Bien que les étiquettes de l’Union européenne et des États-Unis comportent davantage d’information, une étude a révélé que 41 pour cent des étiquettes des produits américains étaient inexactes.
Une étude européenne a démontré que des politiques plus rigoureuses et une meilleure information du public contribuaient à réduire l’étiquetage inexact. Au Canada, des gens réclament une meilleure réglementation en matière de traçabilité des produits de la pêche. Récemment, plus de 12 000 personnes ont envoyé des lettres au gouvernement pour exiger l’amélioration de l’étiquetage.

SeaChoice (la Fondation David Suzuki en est membre) collabore avec LifeScanner à l’inscription de 300 personnes au Canada pour analyser les produits de la pêche, en partie pour confirmer l’exactitude des étiquettes. Les participants reçoivent des trousses d’analyse, achètent des produits, recueillent des données et des images et renvoient les échantillons dans une enveloppe prévue à cet effet. Les échantillons sont ensuite analysés et codés, et les résultats sont publiés en ligne.

Grâce à l’aide de citoyens scientifiques, l’analyse génétique pourrait s’avérer une façon efficace de corriger des failles environnementales. La collecte de données issues de la science participative, la réforme des politiques publiques et l’activisme des consommateurs produisent déjà des résultats positifs. La même approche pourrait être adoptée dans d’autres domaines, notamment l’analyse d’antibiotiques, de pesticides et de résidus de mercure.

Le Jour de l’ADN — le 21 avril au Canada et le 25 aux États-Unis — marque la conclusion du programme Génome humain en 2003 et la découverte de la double hélice de l’ADN en 1953. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis ce temps, mais nous avons encore énormément à apprendre. Les citoyens scientifiques nous aident!

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez