David R. Boyd

M. David R. Boyd est l’un des avocats spécialisés en droit de l’environnement les plus influents du Canada. Professeur associé de gestion des ressources et de l’environnement à l’Université Simon Fraser et récipiendaire de la bourse Trudeau de l’Institute for Resources, Environment and Sustainability de l’UBC, il a offert ses conseils à de nombreux gouvernements, du Canada à la Suède, sur un ensemble de questions liées à l’écologie.

M. Boyd milite actuellement pour que le droit à un environnement sain soit inclus dans la constitution. Le dernier des six livres qu’il a écrits, The Right to a Healthy Environment, revitalizing Canada’s constitution, présente des arguments qui défendent cette idée avec virulence.

 

1. Comment se traduirait l’idée de droit constitutionnel à un environnement sain pour les Canadiennes et les Canadiens? Dans quelle mesure cela changerait-il notre façon de vivre?

Le fait d’avoir droit à un environnement sain changerait bien des choses au Canada. Cela donnerait aux citoyens davantage de pouvoir lorsqu’il s’agit de prendre des décisions se rapportant aux domaines de l’environnement, de la santé et des collectivités. On pourrait demander des comptes aux gouvernements et aux industries qui ne respecteraient pas notre droit à un environnement sain. Avec le temps, les citoyens pourraient respirer un air sain, boire une eau propre, être exposés à une quantité réduite de doses de substances toxiques et bénéficier d’écosystèmes sains.

Si le droit à un environnement sain faisait partie de la constitution, en aucune manière les politiques nationales ne cautionneraient une dose de dioxyde de soufre dans l’air cinq fois plus importante que la dose autorisée aux É.-U. Le Canada se devrait de mettre en question l’approbation de centaines de pesticides qui ne sont plus utilisés en Europe parce qu’ils représentent un danger pour la santé. Il nous faudrait aussi faire un effort immédiat pour fournir une eau saine aux collectivités dans lesquelles un avis d’ébullition de l’eau à long terme a été émis.

2. En tout, quatre-vingt-quinze pays ont déjà rendu ce droit officiel. Comment les citoyens de ces pays exercent-ils ce droit?

L’exemple le plus étonnant nous vient de l’Argentine, où Beatriz Mendoza, une employée de la santé publique, s’était installée dans un quartier de Buenos Aires qui avait été gravement pollué par l’industrie du pétrole et du gaz. Lorsque sa santé a commencé de se détériorer, Mme Mendoza a embauché un avocat et a poursuivi les gouvernements fédéral, provincial et municipal ainsi que 44 sociétés pour avoir bafoué son droit constitutionnel à un environnement sain.

L’affaire a fini devant la Cour suprême qui a statué que le droit de Mme Mendoza avait été bafoué et exigé de tous les ordres de gouvernement de nettoyer le bassin hydrographique, d’aménager des réseaux d’aqueduc et d’égout, de surveiller l’environnement et de s’occuper des problèmes de santé de la population. Depuis lors, on a remarqué que la situation s’est nettement améliorée dans cette région.

Autre exemple, celui de la marée noire causée par Chevron l’année dernière, au large des côtes du Brésil. La société a directement écopé d’une amende de 28 millions de dollars, soit dix fois le montant total des amendes récoltées en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement depuis son adoption en 1988, il y a 25 ans. Les plaignants brésiliens ont demandé des milliards de dollars de compensation pour les dommages causés à l’environnement ainsi que des peines de prison allant jusqu’à 30 ans pour les dirigeants de Chevron.

3. Dans les pays où le droit à un environnement sain fait partie de la constitution, l’environnement et les gens sont-ils effectivement en meilleure santé qu’ailleurs?

En général, l’empreinte écologique de ces pays est faible, leur productivité écologique est meilleure et leurs progrès en termes de lutte contre les problèmes de pollution de l’air et de changements climatiques sont plus probants que ceux du Canada, où le droit dont il est question n’est pas inclus dans la constitution. Une étude de la situation écologique dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), soit la plupart des pays industrialisés riches du monde, révèle que dans quatorze pays sur quinze, la constitution comprend des règles qui contribuent à protéger l’environnement. Sur les sept pays qui ont obtenu les pires résultats en matière de protection de l’environnement, six omettent d’inclure la protection de l’environnement dans leur constitution.

4. Que faut-il faire pour convaincre notre gouvernement qu’il faut changer la constitution?

L’idée de changer la constitution doit gagner la faveur du Parlement et de sept provinces sur dix sur une période de trois ans. Changer la constitution est donc un véritable défi, mais ce n’est pas impossible — surtout aux vues d’un récent sondage qui a révélé que neuf Canadiens sur dix approuvent qu’on défende le droit à un environnement sain.

On peut aussi se réjouir de voir que d’autres pays n’ont pas hésité à changer leur constitution. En France, il y a quelques années, le président Jacques Chirac a fait preuve d’un engagement hors pair en faisant la promotion de la Charte de l’environnement, et les Français lui ont offert un soutien sans pareil. En Équateur et en Bolivie, les Autochtones ont joué un rôle clé dans le domaine des réformes constitutionnelles qui ne reconnaissaient pas seulement le droit à un environnement sain mais aussi les droits de la nature.

5. Peut-on aussi aborder la notion de droit environnemental à l’échelle provinciale, territoriale et municipale? Comment?

Les citoyens doivent exiger de leurs gouvernements provincial, territorial et municipal qu’ils adoptent des lois sur l’environnement ou qu’ils renforcent les lois existantes. Le Québec a une longueur d’avance sur la question et reconnaît le droit à un environnement sain en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement et de la Charte des droits et libertés de la personne. En Ontario, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, la législation reconnaît ce même droit, mais n’est pas assez inefficace pour permettre aux citoyens et aux citoyennes de le défendre. Montréal est récemment devenue la première ville du Canada à reconnaître les droits et les responsabilités qui se rapportent à l’environnement.

La Fondation David Suzuki et Ecojustice Canada travaillent main dans la main pour faire en sorte que tous les Canadiens bénéficient d’une protection juridique de leur droit à un environnement sain.